Immersion chez les Inuits du Nunavik
Un voyage au Nunavik s’entreprend en grande partie pour rencontrer son ethnie : celle du peuple inuit. Souvent assimilés au Groenland, ces derniers vivent également dans le grand nord du Québec. Rencontre avec cette culture incroyablement généreuse à travers mon immersion dans les environs du village de Kangiqsujuaq.
L’inukshuk, servait autrefois d’appât pour la chasse au caribou. Il sert également de repère directionnel.
Les Inuits ou Inuk (ne pas confondre avec Innus) sont un peuple du Nunavik, qu’on retrouve également au Groenland, dans l’arctique canadien et en Alaska. Chasseurs et pêcheurs expérimentés, les Inuits sont surtout reconnus pour leur mode de vie au plus près de la nature et bravant des conditions climatiques rudes et extrêmes. Aujourd’hui sédentarisés depuis le 19e siècle, ces nomades ont pourtant tout (ou presque) gardé de leur culture ancestrale, notamment la chasse, pilier de leur identité culturelle. J’ouvre une nouvelle catégorie sur le blog, “Peuples du monde”, en me penchant un peu plus sur cette culture unique que j’ai eue la chance de rencontrer.
Rencontrer pour voyager !
Les Inuits du Nord Canada
Depuis mon voyage au Sénégal, j’ai du mal à ébaucher un voyage sans envisager la rencontre humaine. Je suis une photographe de paysage mais aujourd’hui plus que jamais, je souhaite orienter mes voyages vers les populations locales & autochtones. M’accoutumer, comprendre leur histoire, leur mode de vie. Si je rêvais depuis de nombreuses années du Nunavik, c’était en grande partie pour partir à la rencontre du peuple inuit.
Enfant, nous sommes nombreux à fantasmer et imaginer la vie de ce peuple vivant dans le grand nord défiant les tempêtes. Vivant dans de petites maisons circulaires de glace. S’habillant avec des peaux de bêtes, chassant et pêchant sans relâche pour se nourrir et se déplaçant en traineau à chiens. Un peuple sorti tout droit d’un conte légendaire. Puis, d’articles en livres, de reportages en reportages, j’ai su du haut de mes 7 ou 8 ans que les Inuits existaient réellement. Et qu’un jour, j’irai les voir moi aussi.
2019, la réalité inuite est tout autre. Aujourd’hui, les baraquements ont remplacé les igloos. Les vestes de marque ont remplacé les peaux de bête. Les produits de grande consommation et supérettes sont apparus. La colonisation est venue profondément changer et bouleverser ce mode de vie ancestral. Les téléphones portables sont là, l’alcool aussi, sans parler de la malbouffe. Pourtant, et heureusement, le Nunavik en comparaison des autres peuples autochtones du sud du Québec (qu’on regroupe sous l’entité des Premières Nations), ont su le mieux préserver leur culture. Probablement dû au fait de l’éloignement et de l’isolement.
Je ne suis alors pas partie avec mon regard naïf de mes 8 ans. En effet et même si les bottes Baffin ont remplacé les peaux de phoque et les skidoo ont remplacé les kayaks de bois et autres chiens de traîneaux, je suis partie avec toute ma curiosité et un cœur bien ouvert pour rencontrer ces Inuits du Nunavik. Partager quelques jours à leur côté. Rire avec eux. Et même chasser.
Ma rencontre avec les Inuits du Nunavik
Voyager au Nunavik se fait forcément par l’intermédiaire de réceptif ou guide inuit. Une garantie authentique salutaire. L’expérience se fera alors à 100% en immersion ! Notre rencontre commence dès le trajet avec Air Inuit où l’anglais, le français et l’inuktitut se mêlent et résonnent dans le petit appareil. Pour rejoindre Kangiqsujuaq nous ferons plusieurs arrêts, des petits sauts de puce comme en autobus. Nous passerons par les communautés de Kangirsuk et Quaqtaq. Le temps de se familiariser avec ce nouvel idiome, nous arrivons enfin à bon port.
Deux petits jours dans la communauté de Kangiqsujuaq, il est temps de débuter notre expédition jusqu’au parc national de Pingualuit. Quatre guides inuits nous accompagnent : Willie, Peter, Junior & Pat. Quatre jours intenses, à vivre 100% ensemble, en communauté, où nous partagerons en parallèle de cette expédition sportive, les savoirs et mode de vie du peuple inuit.
Nous avons tous ensemble construit un igloo ; cinq heures d’efforts physiques sous la colère d’un vent violent. Saviez-vous d’ailleurs que la durée de vie d’un igloo était d’une semaine ? La tradition veut même qu’un jeune Inuit sache construire de lui-même un igloo, sans quoi, il ne pourrait se marier et subvenir à sa famille. Revenons à quelques décennies en arrière, à l’époque où les Inuits étaient encore nomades (on parle d’une sédentarisation récente qui remonte à deux-trois générations) : chaque semaine ces derniers devaient construire un nouvel habitat. Il faut alors s’imaginer la transition colossale qu’ont connu les Inuits. Passer du nomadisme à la sédentarisation et à la création des premiers villages inuits a été l’un des changements majeurs de ces dernières années chez les Inuits.
“J’ai construit un igloo”
Comment construit-on un igloo ?
La recette est simple et pourtant extrêmement ingénieuse, démontrant une fois de plus combien le peuple inuit a su s’adapter à son environnement. La qualité de la neige est très importante car celle-ci doit être robuste. Aucun ajout pour la fabrication de l’igloo, si ce n’est la neige et un peu d’eau. Nous avons tour à tour “mouler nos briques”. D’abord en coupant sur les extrémités, puis sur l’intérieur, enfin par dessous. On rentre la scie au milieu pour faire une pression et faire tomber le bloc de neige. Ainsi de suite. La partie la plus compliquée reste la sculpture. Les blocs doivent s’imbriquer entre eux parfaitement. L’Inuit veille alors à couper la glace au bon endroit pour que les blocs puissent se fondre entre eux et former cette spirale.
Pour l’isolation enfin il suffit de ramasser de la poudre de neige de la rendre compact et l’insérer dans les failles. La neige sert alors d’isolant naturelle. Une fois dans l’igloo, c’est incroyable comme le vent et le froid ne rentre pas. La température moyenne dans l’igloo tourne autour des 0 degré. La durée de vie d’un igloo, comme je le disais, est donc d’une semaine. Dépendamment de la taille de l’habitat, ce dernier peut recevoir toute une famille.
De gauche à droite : Junior, Peter, Pat & Williara
Nous avons aussi été initiés au dépeçage des Aqiggi, prononcé Arriki (que sont les lagopèdes en Inuktitut). Ce sont leur perdrix des neiges qui, à la cuisson, sont semblables au magret de canard. Également initiés au Qulliq, leur lampe traditionnelle faite à base d’herbes et de graisse de baleine (ou de phoque) qui servait autrefois à chauffer l’intérieur de l’igloo. Certaines coutumes locales peuvent nous surprendre (et heurter). Les Inuits sont des chasseurs et pêcheurs d’instinct ; ils ont ça dans le sang. Je ne compte plus le nombre de fois où Willie, l’un des guides avec lequel j’ai passé tous mes trajets de motoneige, s’arrêtait spontanément sur la route, laissant les autres motoneiges disparaître dans l’immensité de la toundra pour chasser.
Nous avons rencontré aussi ce couple adorable qui venait de chasser et dépecer un caribou. Ils ont pris plaisir à nous raconter cette chasse à 80km sur leur motoneige. Ils nous ont également dit qu’ils récupéraient tout dans l’animal, hormis les boyaux qu’ils laissaient à la Terre et pourraient nourrir d’autres animaux. Chaque partie de l’animal était compartimenté, car chaque partie a sa propre utilité. Ces images peuvent “choquer” mais c’est une réalité et le quotidien du peuple inuit.
Les Inuits comme beaucoup de peuples autochtones, dépendent de la nature. Des cycles de vie des animaux, des floraisons, des migrations etc. Dans un parfait équilibre, ils savent ce qu’ils peuvent prendre et rendre à la Terre. C’est une grande leçon de vie que de vivre quelques jours auprès de gens aussi respectueux de notre planète. Alors même, que ces derniers ne savent pas les enjeux écologiques cruciaux auxquels nous sommes confrontés. Depuis toujours, ils remercient la nature d’être là et de pouvoir les subvenir. Ils savent pertinemment que sans elle, ils ne seraient plus rien. Les Inuits croient d’ailleurs que l’animal est un être à part entière, pensant de lui-même. Certains “codes” le prouvent : remercier l’animal chassé, ne pas faire souffrir l’animal, tout utilisé.
Nos au revoirs se sont passés plutôt rapidement. Les Inuits laissent une distance avec les Blancs (ou Grands Sourcils) pour ne pas souffrir. Une manière de se protéger et de ne pas vouloir s’attacher car pour eux “un Blanc forcément repart”. Pourtant, nous avons su tisser de beaux liens. Pas besoin de grandes manières. Quelques gestes suffisent : le jour de notre départ à l’aéroport, Peter & Junior, deux de nos guides sont venus nous dire au revoir. Peter, qui avait particulièrement accroché avec Benjamin, lui a glissé dans le creux de sa main une griffe d’ours polaire. Un cadeau rare que nous ne sommes pas prêts d’oublier. Avec Willie, nous continuons d’échanger via la magie des réseaux sociaux. Ce p’tit gars qui m’a rappelé mon petit frère.
Pour en apprendre un peu plus sur le peuple Inuit
Une culture ancestrale du Nord Québécois
Il y a encore tout juste un siècle, les Inuits étaient toujours nomades, chaque jour devant vaincre d’ardues conditions climatiques et, au péril de leur vie, subvenir à la vie de leur famille. C’est un peuple pour lequel j’ai un profond respect et une grande admiration. Je partage ici alors quelques faits, coutume ou d’histoire, pour vous donner envie de vous pencher davantage et d’ouvrir à votre tour votre curiosité.
— la communauté, le cœur du peuple inuit. Il y a un profond respect envers les anciens, les accoucheuses, les parents etc. Tout se passe ensemble comme par exemple la viande partagée entre tous.
— la transmission, deuxième point central. Alors que certaines cultures rejettent leur aîné, chez les Inuits ces derniers ont une place privilégiée. Le partage et la transmission des connaissances, comme pour les technique de chasse est primordiale à leur survie.
— “Inuits” signifient gens ou homme en Inuktitut. Ces derniers s’appelaient ainsi pensant être les seuls individus sur Terre.
— ne pas confondre les Inuits et les Innus. Ces derniers tirent leur origine amérindienne alors que les Inuits sont arrivés d’Asie depuis le détroit du Béring.
— les Inuits sont mondialement (re)connus pour leur Inukshuk, ces hommes de pierre conçus pour se repérer dans la toundra et appâter le caribou. Mais aussi pour leur sculpture très fine recherchée sur le marché de l’Art et leur chant de gorge.
— les Inuits ont souffert de l’arrivée des missionnaires, chrétiens et des politiques canadiennes jadis mises en place. Pendant des années et sous diverses formes, nous avons tenté d’annihiler la culture inuite considérée (à tort) comme sauvage. Le plus connu ? Le massacre de milliers de chiens dans les années 50/60 par la police canadienne.
— dans les années 50 toujours, une poignée d’Inuits a été déraciné du Nunavik pour être “relocalisés” au Nunavut. Le gouvernement leur faisant croire que de meilleures conditions de chasse les attendraient. Alors qu’il ne s’agissait là que d’une manipulation géo-politique. Le réel enjeu de l’exil forcé de ces 87 inuits ? Une réaffirmation du nord canadien face aux Américains qui souhaitaient s’emparer de ces terres arctiques. (Des excuses ont été faites en 2010).
— dans la culture inuite la femme peut tout aussi bien chasser et pêcher. Elle a même d’ailleurs son propre couteau traditionnel, un ulu, en forme de croissant.
— L’arrivée du christianisme les a poussés à opter une relation hétéronormatif. Pourtant, forts de leur sexualité débridée, les Inuits reconnaissent le 3e sexe, le “sexe social” et vont plus loin qu’une vision binaire. Ils dissocient le sexe du genre. Exemple, une famille peut très bien décider que le nouveau né sera une fille même si son sexe indique que c’est un garçon. Les parents lui laisseront alors le choix à un certain âge de garder son sexe social ou de reprendre son sexe biologique. Un aspect de la culture inuite qui monte Ô combien ces communautés étaient et sont toujours, extrêmement intelligentes et j’ose le dire, en avance sur nos manières de penser.
Et pour aller encore plus loin :
Et voici quelques ressources supplémentaires pour en apprendre davantage sur la culture Inuite, leur mode de vie, croyance et enjeux auxquels ils font face depuis quelques années.
(gauche) Sanaaq de Mitiarjuk Nappaaluk — (milieu) Arvik ! In pursuit of the bowhead whale de Robert Fréchette —
(droite) Contes Inuit de la banquise de Jacques Pasquet
Avant de voyager au Nunavik j’étais déjà admirative de ce peuple inuit si surprenant. Les avoir côtoyés, même si juste l’espace de quelques jours, m’a conforté dans ce sentiment. J’espère vous en avoir appris un peu plus sur cette culture très riche et passionnante. J’espère également que cette nouvelle rubrique vous plaira. En attendant les futurs voyages et rencontres avec les peuples du monde, je vous dis à très vite !
⇒ Partez à la rencontre des Inuits du Nunavik vous aussi !
C’est vraiment plein de surprises et de découvertes. Mais c’est vrai qu’en allant les voir, on les change aussi un peu. Comment continuer à être eux-mêmes, à conserver leurs traditions et à vivre comme ils le souhaitent, les questions ne doivent pas manquer!
Ton article est magnifique, c’est une immersion complète pour le lecteur, j’adore, comme d’habitude !!
Merci de partager ces merveilles avec nous ❤
Cet article est super intéressant ! J’ai adoré le lire, cette nouvelle rubrique des Peuples du monde est très prometteuse :) et les photos comme toujours sont magnifiques ! Je n’oublierai pas de jeter un œil à la bibliothèque pour les lectures que tu proposes
Coucou Amélie,
Wow, quel bel article! Tes photos ma-gni-fiques!
Je voulais juste te dire que ton blog me fascine… c’est même grâce à toi que j’ai osé m’en faire un. Je te lis un peu comme je lis un roman de Sylvain Tesson… je voyage et m’évade juste grâce à tes mots… et ça, c’est magique!!
WOWWWW tu nous as régalé avec ton reportage… Quel bonheur, je m’y croyais !
Merci beaucoup pour ton article, c’était super intéressant !
Merci de nous avoir emmené avec toi à la rencontre des Inuits :)
(C’est fou, je pensais que leur sédentarisation datait de beaucoup plus longtemps que 2 ou 3 générations !)
Vivement un prochain peuple du monde…
Wahou cet article est magnifique, les photos juste sublime. Merci
Pour des informations encore plus complètes sur les Inuits du Nunavik, il vous faudra lire le livre de Marcel Rousseau: Les Inuits du Nunavik, paru aux éditions GID (peut-être épuisé – à vérifier) et disponible pour les lecteurs européens chez l’éditeur L’Harmatan.
Il s’agit là de la meilleure référence que je connaisse en ce qui concerne spécifiquement les Inuits du Nunavik.